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Résidence Anis-Gras l'autre lieu

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée


Sortie de résidence – Hors champ

Nous présentons un projet musique électroacoustique, danseuse buto et peinture-vidéo, à Anis Gras qui n'a pas de place pour nous accueillir dans l'immédiat mais nous invite à investir leur espace du centre commercial la vache noire. Une boutique vide, au milieu des boutiques du centre.

Nous acceptons et réfléchissons alors à un projet qui cadre avec ce lieu. Un centre commercial, plein de boutiques, de portes à pousser, où tout est fait pour qu'on les pousse. Le rassemblement de boutiques et l'espace est aménagé pour l'accueil des clients.


La première piste de travail qu'on envisage est que ce lieu de vie destiné à pousser à l'achat est organisé pour que les gens y restent le plus longtemps possible, s'y restaurent, s'y amusent, s'y reposent. Le centre et ses distractions conçues pour charmer le client attirent aussi les isolés qui n'ont pas les moyens d'accéder à d'autres distractions. Ce sont ces à côtés que nous souhaitions interroger. Et puis, en cours de préparation, un autre thème s'est imposé. Assorti d'un titre d'un proverbe de Musset qui revenait, lancinant, accompagner la réflexion préalable : « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ». C'est devenu le titre du projet, titre de travail comme on dit. De ces titres provisoires qui s'accrochent. Le thème donc, de la porte s'impose. A pousser, qu'on n'ose pas pousser, obstacle ou opportunité ?..


« Notre boutique » est située en face d'un salon de coiffure. C'est marrant les salons de coiffure. C'est un des rares endroits où l'on travaille exposé, en vitrine. Où les gens qui se font coiffer, acte intime, se retrouvent eux aussi exposés, en vitrine. Une dame qu'on voit régulièrement errer dans la rue principale d'Arcueil et dans le centre, vient faire son tour dans le salon tous les après-midi. Elle y passe quelques minutes. Y exécute quelques pas de danse. Discute avec l'une des coiffeuses. Le reste du temps quand on la croise elle parle seule et harangue les passants.


Dans le centre, c'est l'été. La fin de l'été 2023. Août. Dernier épisode caniculaire de la saison en région parisienne. Pas très intense. Juste assez pour que la température, la nuit ne baisse pas. Il fait chaud donc. Et toutes les boutiques ont leurs portes grandes ouvertes. Parfois la clim envoie un halo de fraicheur. Mais au temps pour notre projet... Il n'y a plus de porte même automatique entre les boutiques et la galerie. Qu'elles soient maintenues ouvertes à cause de la chaleur ou qu'elles aient purement et simplement disparu au profit du rideau de fer qui vient protéger les boutiques la nuit.


Le thème résiste. Les seuils restent à franchir. On pense à l'ange exterminateur et ses frontières imaginaires infranchissables.


On s'installe. Avec l'idée d'une vitrine aguichante pour appâter le chaland. On ne vend rien. On n'offre même rien. Juste un temps d'échange, de partage. On souhaite recueillir des témoignages des gens qui fréquentent le centre commercial. On a l'idée un peu prétentieuse de toucher un public qu'on ne touche pas d'habitude dans les expos, concerts et autres lieux artistiques.

 Comme on fait de la vidéo, on tente la pose sur la vitrine d'un support transparent, sensé la transformer en écran permettant la projection d'images. Ca fonctionne. Un peu. Car la galerie et la vitrine sont très éclairées. Et le mini rétroprojecteur portable pas tout à fait assez puissant. Un rétroprojecteur plus puissant n'aurait de toute façon pas assez de recul dans le bloc vitrine dont on dispose.


Alors il faut retravailler la vidéo pour la pimper, on finit par voir de la galerie des extraits du travail en cours, du titre au début... On accroche une affiche avec des couleurs flashy. On invite par des flèches, des pancartes, des sourires à entrer.


L'installation de notre vitrine nous aura pris plus de temps que prévu, pour un résultat un peu décevant (en ce qui concerne la diffusion vidéo) mais suffisant pour faire ralentir les passants qui s'arrêtent parfois pour lire et observer la vitrine !


Aller, on installe l'intérieur. Un espace son avec plein de joujoux pour faire de l'électroacoustique. Une grande table pour peindre. Un endroit où enregistrer et filmer les témoignages. L'idée n'est pas de filmer façon docu bien sûr mais de restituer quelque chose d'intime. Les gens viennent et se livrent. Nous offrent le récit de leurs audaces et inhibitions. On filmera leurs mains, leurs attitudes, on enregistrera leurs mots.


Et on attend les visites. Enfin on travaille sur ce qu'on a déjà récolté dans le centre. Images et sons : entrées/sorties dans le centre, dans les boutiques, jeux de reflets, les tourniquets qui facilitent l'entrée, ceux qui limitent. On traite les images, les sons. On commence à structurer, à monter pour enrichir la vitrine et montrer aux passants ce à quoi on aimerait qu'ils participent.


Et on reste à l'affut.


Il y a celles et ceux qui entrent franchement, fermement, sans hésitation. La plupart du temps, il croient qu'on va donner des cours de photo/vidéo ou dessin. D'autres qui pensent qu'on anime des ateliers pour enfants et demandent les horaires pour les inscrire. Une dame qui a son grand garçon autiste de 15 ans demande si elle peut l'amener.

Ils écoutent gentiment nos présentations et explications et repartent vaguement déçus après un dernier sourire et un gentil : c'est intéressant.


Il y a aussi toutes ces petites voix d'enfant qui lisent lentement, mot après mot : « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ». Ceux qui demandent : c'est quoi ? Qu'on tire, qu'on pousse, car les parents sont plus pressés que ça.


Et puis il y a ce monsieur le deuxième soir qui débite son boniment. Ne demande rien, écoute à peine ce qu'on essaie de dire, nous coupe la parole et débite son laïus. On dirait un témoin de Jéhovah. D'ailleurs il est flanqué d'une dame qui le suit comme son ombre. Il fait partie d'une association de poésie. Présente sa carte. Un site web. Je ne suis pas certaine de comprendre ce qu'il veut. Ah, si, il y a ce samedi une journée portes ouvertes. Il veut qu'on y fasse un tour. Bon. Je me demande si je pourrais à un moment réussir à lui présenter quelque chose ou s'il s'en ira son monologue une fois terminé. Enfin, il sort son téléphone et cherche une photo. Il me demande ce que je pense de cette oevure qu'il a peinte. Ehhh je ne comprends pas bien ce qu'il veut savoir. Si je la trouve réussie techniquement ? Si elle me touchait au moins j'aurai quelque chose à dire. Malheureusement ce n'est pas le cas. Alors je conserve un prudent silence. Ce qui le hérisse. Je distingue un sac blanc sur lequel est écrit le mot riz sur un fond jaune brun étalé façon peinture à l'éponge. Un forme rouge contre le sac de riz. Il s'offusque. Comment cela ne vous touche pas ?? Hiiiiiii. Pour mon malheur je sais mal mentir. Enfin je sais, mais je sais que ça se voit, donc c'est pas très utile. Et puis ouf, illumination ! Je comprends que la forme rouge sur le côté du sac de riz n'est pas une silhouette d'enfant affamé mais un fusil ! Ah ça y est ! Je l'ai. Je bredouille enfin : « je comprends le message politique » ce qui suffit à apaiser sa soif de commentaire. Il sort non sans avoir répété les détails de la journée portes-ouvertes de samedi. Est-ce qu'il arrive à obtenir des visites avec sa méthode ?


On continue à travailler tout en restant à l'affut car la plupart de ceux qui ralentissent et regardent attentivement ce qu'il y a dans la vitrine n'entrent pas.


I.elles hésitent sur le seuil. Echangent avec nous un bonjour, un regard, un sourire. On voit leur corps tanguer un peu. Vers la boutique, puis repartir vers leur trajectoire d'origine. Légèrement déviés l'espace un instant.


Si on ne fait rien. Ils repartent. En jetant un dernier regard derrière eux.


Un geste de la main, un mot, invitant à entrer, suffit à leur faire passer le seuil.

 

Ils ont aimé les mots dans la vitrine. Sont touchés par le thème, immédiatement, viscéralement. On échange, on partage, on présente le lieu, notre travail, le projet. Les gens sont intéressés. Rassurés assez pour entrer et discuter. Mais pour participer, c'est un nouveau pas à franchir. « Un autre jour », « on n'a pas le temps là », « je vais voir si ma femme peut garder les enfants », «J'aime bien vos mots sur la vitrine », « Je ne suis pas philosophe, moi », «  Maman a envie de sortir du centre, je ne peux pas rester mais je reviendrai ».


Bref ce n'est pas le moment pour se livrer. Pas là, pas au milieu des courses, pas l'habitude... L'audace d'entrer, d'échanger, mais pas celle de se croire légitime. L'envie est là pourtant, on la sent. Très forte. L'inhibition aussi. On nous remercie très chaleureusement. Ravis du moment passé ensemble, mais... on reviendra. De ceux-là, on n'enregistre rien, ni témoignage, ni image. Mais ils font très fort partie du projet. Intégralement. Peut-être davantage encore que ceux qui auront l'audace de participer.


Parmi celles et ceux qui franchissent le seuil, qui partagent et échangent, certain.es gardent une certaine forme de silence lorsqu'on on aborde le fait que le projet est participatif. Que le public est invité à témoigner. Silence très particulier. Comme actif. Là encore il faut les inviter. Voulez-vous témoigner, écrire/dessiner sur le thème ? On n'a pas fini la question qu'on récolte un grand oui.


Une dame portant un voile demande juste qu'on ne risque pas de la reconnaître. Elle ne veut pas que ses élèves risquent de la reconnaître. Elle ne veut pas que ses élèves sachent qu'en dehors de l'institution elle porte le voile ! Elle est rassurée par le fait que les images qu'on cherche à avoir sont de l'ordre du détail, du sensible. L'engagement de ne pas diffuser son visage suffit, elle se laisse filmer sans plus faire attention à la caméra. Et la confiance qu'elle nous fait nous touche.


Et survient ce qu'on est venu.es chercher. La confidence survient. Et, cadeau suprême : s'entendre dire qu'on a donné confiance assez pour permettre ces confidences !


Des inconnu.es qui aiment parler et manient bien la langue et ses subtilités.


Et puis il y a les ami.es. Ceux-là savent très bien ce qu'on fait. Participent. Mettent la main à la pâte. C'est un peu de la triche. Mais ça fait très plaisir aussi, car lorsqu'ils participent, ils offrent tout autant que les inconnu.es.


Les gens sont très généreux. Ils ne demandent rien. Ils offrent. On récolte. On les assure qu'on les tiendra au courant du résultat final. Ils n'attendent rien de plus. C'est l'incroyable générosité de celles et ceux qui auront participé qui nous marquera le plus. Et ce public spécifique de celles et ceux qui touché.es par le sujet sont entrés, ont échangé et n'ont pas osé aller plus loin. C'est ce public-là qu'on est venu.es chercher ici. Nos échanges resteront hors champ. Dans nos cœurs et nos mémoires.





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